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Peut-on séparer l’œuvre de l’auteur ?

  • jtrinquart
  • 5 févr.
  • 4 min de lecture

 

A l’heure où la parole des femmes se libère sur les violences sexuelles vécues massivement au sein de notre société, et notamment dans les sphères artistiques, du cinéma, de la photographie, du mannequinat, du théâtre, de la littérature, une question cruciale vient à se poser : peut-on séparer l’œuvre de l’auteur ?

 

Autrement dit, peut-on objectivement condamner l’homme agresseur de victimes, adolescentes, jeunes femmes, femmes, en situation de vulnérabilité, dont il a pu profiter de par son statut de dominant, pour des agressions sexuelles ou des viols, et l’artiste qui a pu produire des œuvres cinématographiques, littéraires, photographiques, visuelles, théâtrales, tant qu’elles ne sont pas à contenu pornographique ou pédopornographique, ensemble ? Ou faut-il séparer les deux, c’est-à-dire considérer que le sujet peut être mauvais sur le plan moral ou éthique mais bon sur le plan créatif ? Ne va-t-il pas faire passer des messages distordus dans son œuvre ?

Je pense ici à l’un de mes fims préférés, « Le bal des vampires » de Roman Polanski, que j’ai vu pour la première fois à l’âge de 16 ans (il était alors interdit aux moins de 18 ans, mais l’ouvreuse a fermé les yeux). Je l’ai vu au moins une dizaine de fois. Je le connais par cœur, la musique y compris. J’adore ce film, Polanski y tient le premier rôle. Depuis l’affaire Polanski, je ne peux plus regarder « Le bal des vampires ».

Je pense aussi à une série récente, parue sur la plateforme Netflix, « Deadboy Detectives », où de jeunes fantômes résolvent des affaires mystérieuses paranormales. J’adore cette série, qui met notamment en avant l’état de stress post traumatique et les conséquences des violences vécues. Cette série est issue d’un comics de Neil Gailman, qui est actuellement incriminé pour des agressions sexuelles sur plusieurs jeunes femmes. Dois-je m’arrêter de visionner une de mes séries préférées parce que son auteur est un criminel potentiel pervers ?

Est-ce qu’il existe une dissociation entre l’œuvre et son auteur ? Y a-t-il une rédemption dans la création ?

Ces hommes agresseurs ont tous, d’après les statistiques et les études, eux-mêmes été victimes d’agressions violentes ou sexuelles. Ce qui ne les excuse pas mais explique leurs comportements. Victor Hugo qui a écrit de formidables pages sur l’horreur de la prostitution et créé le personnage de Fantine d’une réalité absolue, utilisait lui-même de la prostitution.

Un exemple particulièrement frappant, mais que les médias osent à peine toucher du bout des doigts, est celui de Serge Gainsbourg. Pape de la chanson française, Gainsbourg s’est fait une réputation sulfureuse avec ses chansons semi-érotiques, « année 69 », « les sucettes à l’anis », « je vais et je viens ». L’acmé a été l’hyper-érotisation de sa fille mineure Charlotte avec « Lemon Incest » clairement explicite dans le texte et qui pourtant n’a provoqué aucune réaction d’indignation. Charlotte Gainsbourg en est pourtant restée profondément marquée et a même tourné il a quelques années un film avec scènes pornographiques live.

Est-ce qu’un homme qui écrit, réalise ou photographie des choses sages ou bonnes et à côté se comporte comme un monstre doit voir son œuvre détruite ?

Est-ce que les deux sont indissociables ou doivent être séparées ?

La récente affaire de l’abbé Pierre nous repose la question. Les accusations d’agressions sexuelles à son encontre remettent en question sa figure emblématique de personnage bienveillant sur tous les plans. Est-ce à dire que le reste de son travail est remis en cause ?

Il s’agit de se demander ici si on peut considérer que quelqu’un qui dit : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais » est crédible.

Produire intellectuellement une œuvre, qu’elle soit cinématographique, photographique, littéraire, picturale, transmettant un message philosophique bienveillant et à l’inverse se comporter de manière destructrice et malveillante, surtout envers des sujets vulnérables, pose question sur la façon dont nous devons considérer le message des auteurs.

Nous ne sommes pas ici pour ériger des autodafé comme lors de l’inquisition. Nul besoin de construire de bûchers pour brûler des œuvres apocryphes.

La question qui se pose est de savoir s’il existe une schizoïdie entre l’auteur et l’œuvre. Peut-on séparer les deux ? Peut-on aimer le poème d’un homme qui a violé des enfants ?

Je n’arrive pas à répondre à cette question à ce jour. Je pense que malgré nos difficultés, chaque mauvaise personne a aussi une belle part à l’intérieur qu’elle tente de transcender pour donner le meilleur et en faire un exutoire.

Peut-être que ces auteurs agresseurs ont au travers de l’expression artistique essayé de trouver une rédemption pour leur souffrance, tout en ne sachant pas guérir des violences infligées et en continuant à les perpétuer.

Donc au final je crois que nous ne pouvons séparer l’auteur de son œuvre. Ils ne font qu’un. Et si nous apprenons que notre auteur fétiche est un agresseur ou un violeur, alors soit nous essayons de voir comment cela a pu se répercuter sur son œuvre et nous l’analysons pour l’apprécier, soit nous effectuons une rupture avec cette œuvre parce que c’est impossible pour nous de séparer l’homme de ce qu’il a créé.

 
 
 

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